Boris Gibé
Boris Gibé, artiste de cirque & danseur, fonde la compagnie Les Choses de Rien en 2004.
Immergé dès son plus jeune âge dans le monde du cirque et de l’itinérance, Boris connaît ses premières expériences professionnelles à l’âge de douze ans. Cofondateur de la Cie. Zampanos en 1996, il tourne quatre créations qui sillonnent les villages de France et 14 pays d’Afrique en 2003. Un pied dans le cirque en chapiteau, un pied dans la danse belge, ses rencontres avec d’autres compagnies le mènent à jouer avec le Cirque Médrano, la Cie Cahin Caha, la Cie DCA – Philippe Decouflé, Clowns sans Frontières, Néry, Les Ogres de Barback, le Cirque Electrique, le Cirque Pocheros, la Cie La Zouze – Christophe Haleb, la Cie Les Cambrioleurs – Julie Bérès, la Cie Ki Productions – Kitsou Dubois, les collectifs Ai Migranti et Le Caravansérail.
Début 2004, Boris fonde la Cie Les Choses de rien avec laquelle il développe à partir de ses scénographies un langage artistique original où danse acrobatique, exploration aérienne, matières plastiques et bricoles technologiques se mêlent, poussant le corps à l’extrême dans une poésie à l’état brut. Ses créations se jouent d’univers mentaux questionnant avec humour l’existentiel, le destin, l’enfermement, la perte de repère, la perception de la réalité et sa part de subjectivité.
Il créé la performance Installation tripode (2005). Il concoit et construit le Chapiteau-Phare dans lequel il créé le spectacle Le Phare (2006) pour lequel il reçoit les prix « Jeunes Talents Cirque 2004 » et « Auteur de Cirque » (Beaumarchais-SACD), puis il conçoit pour l’extérieur Bull (2008) et pour la salle Les Fuyantes (2011) mis en scène par Camille Boitel. Il co-créé en 2014 avec Florent Hamon, la pièce Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies, ainsi que l’exposition Mouvinsitu qui y est associée. Il créé en 2017 L’absolu sous le chapiteau de tôle Le Silo qu’il conçoit et fabrique pour l’occasion. En 2018 il co-conçoit et construit avec ses complices l’architecture itinérante Il Kiosko. En 2019, il fonde La Fabrique des possibles : Atelier de Fabrique artistique dédié aux arts du mouvement et aux écritures contemporaines. En 2021, Il conçoit Le Grand Panopticum associé à la création 2023 Anatomie du désir et en 2022 L’Arènatomie associée à la création 2026 Les Inachevées. Il prépare pour 2027 sa prochaine création De la nature des chose avec les apprentis de l’Académie Fratellini.
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Interviews octobre 2025 – Propos recueillis par Liv
Laveyne
Petit voyage dans le passé. Vous vous intéressiez déjà au cirque enfant ? Qu’est-ce qui vous a attiré ? Quel est le premier souvenir qui a éveillé votre intérêt (anecdote) ?
Je rêvais depuis tout petit de faire du cirque.
J’ai découvert le cirque à l’âge de 10 ans, dans une école de cirque en Corse.
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
Parents, sœur ? Vous avez créé un spectacle à dix ans et avez tourné avec
le groupe Zampanos avec vos parents dès quatorze ans ? Comment cette
décision a-t-elle été prise ?
Mes parents étaient bergers, puis saisonniers.
Quand cette école de cirque est arrivé dans notre village, nous avons pu en
famille partager cette passion en loisir, puis nous avons demandé ma sœur et
moi de passer les vacances d’été dans un cirque traditionnel familial insulaire
le « Néné circus » que nous avions rencontré. De fil en aiguille,
nous avons acheté une caravane, pris la route des écoles de cirque de France
pour continuer à découvrir cet univers. Nous avons alors monté la troupe
Zampanos en 1996 (quand j’avais 14 ans) et commencé à jouer dans la rue en
passant le chapeau, dans les campings et les fêtes des villages Corses.
Quel genre d’œuvres avez-vous créées avec
Zampanos ? Comment l’imaginer (plutôt du théâtre de rue) ?
Nous montions des numéros de cirque de rue sans
prétentions, très poétiques, de cirque aérien, de clown, de jonglerie, ect.
Vous avez joué avec Zampanos dans 14 pays
africains. Comment cette expérience vous a-t-elle influencé en tant que
créateur ?
J’avais 19 ans, cela remonte un peu ! Malgré
le rythme intense de cette tournée qui nous faisait changer de pays en moyenne
tous les 4 jours, cela a été une grosse claque culturelle ! Nous avons eu
la chance de mener des ateliers avec les enfants des rues et aussi rencontré de
nombreux artistes, une expérience très enrichissante humainement.
Quelle formation (de cirque) avez-vous suivie, qui
a été votre mentor le plus important et quelle leçon/conseil de sagesse
gardez-vous encore en vous ?
Je n’ai pas fait de grandes écoles, mais suivit de
nombreux stages, et cela bizarrement ne s’arrête pas, j’ai besoin de continuer
à me former, à évoluer, à questionner nos pratiques, à les perfectionner, à en
découvrir d’autres.
Mon Mentor est surement Michel Nowak qui dirigeait
l’école de cirque de Nanterre, qui m’a offert sa première toile, m’a livré une semi-remorque
de ferraille, m’a ouvert son atelier et m’a mis la main au poste au souder.
C’est quelqu’un m’a énormément apporté humainement de par sa générosité et son désir
de transmission jusqu’au bout de sa vie.
Depuis, menez-vous une vie largement nomade ?
Oui on peut dire ça ! 😉
Trouvez-vous la paix dans cela, ou où avez-vous
trouvé la paix depuis (où créez-vous vos œuvres, dans quel
environnement) ? Quel est votre attachement, en tant que personne, à un
lieu, à des choses, à ce que vous faites ou ne faites pas ?
J’ai besoin de la nature, de la rivière, de ces
lieux inspirants, chargés d’une poétique, de patrimoine industrielle et
d’architectures désuètes, d’endroits préservés et sensible qui puisse
accueillir.
Votre approche du travail est à la fois
existentielle et philosophique, tout en étant scientifique.
Vous avez également mené ou menez des recherches
sur le vol hyperbolique ou en piscine ? Que souhaitiez-vous y explorer
précisément, ou cela a-t-il enrichi vos connaissances ?
C’est un endroit en effet entre les forces de la
physique qui m’intéresse. Comment le mouvement vient interroger l’espace, et
comment l’espace lui renvoi toute sa puissance poétique. Dans Anatomie du
Désir, dernière création de la Cie que nous présentons en ce moment, une
recherche à laquelle aucun spectateur ne croit, mais qui est pourtant
vrai : une réelle lévitation d’un organe quantique, qui opère sous les
champs d’électricité statique avec du 100 000V. L’attraction et la répulsion des corps, par
rééquilibrage des différences de potentialité : la question du désir en
image devant nous, c’est plus que magique, c’est réel !
En 2006, vous avez fondé votre propre
compagnie : Les Choses de rien. Que signifie ce nom pour vous ?
C’est l’endroit du sensible, et du merveilleux
quand on en partage l’écoute et l’instant.
Vos performances sont empreintes d’une obscurité,
d’une mélancolie et d’un danger qui contrastent peut-être avec une grande
partie du cirque, qui recherche le spectacle festif ou une construction plus
formelle et l’évocation de la technique. Dans quelle mesure cela résonne-t-il
avec la personne de Boris Gibé et avec votre propre vision de l’humanité ?
J’ai eu plaisir enfant et adolescent à faire des
spectacles distractifs et divertissants, mais je cherche depuis mes 20 ans à
explorer dans nouvelles esthétiques, de nouveaux champs d’exploration, et de
nouvelles questions dramaturgiques. Cela toucher plus singulièrement le public.
Je tente de lui proposer des choses qu’il n’a jamais vu, pour le couper de ses
repères et le bouleverser dans son appréciation, dans ses gouts. L’art n’est-il
pas un déplacement de nos perceptions ?
Sortir d’une expérience bouleversante, d’une rencontre
avec une œuvre et voir alors le monde autrement, c’est la plus belle
chose ! et c’est un peu ce qui m’anime, alors je me risque à partager cet
absolu qu’on n’atteints pourtant jamais, mais qui nous déplace, nous
métamorphose et nous fait nous rencontrer aussi, nous même, avec les autres
aussi.
Pour l’absolu, avez-vous acheté un silo ?
(L’avez-vous fabriqué ou adapté ?)
J’avoue, j’ai cherché sur leboncoin, mais je n’ai
pas trouvé 😉 alors on l’a construit nous-même, j’ai fais un emprunt pour
travaux, et inviter une 20 aine de personne à un grand chantier participatif,
Une expérience utopique incroyable !
D’où vient cette idée, et dans quelle mesure cette
forme a-t-elle influencé le contenu, ou inversement ?
L’idée est partie d’un livre d’Andrew Tarkovski,
« Le temps scellé » qui traite beaucoup de la quête d’absolu de ses
personnages, de leur recherche à capter les choses de rien, les forces
invisibles dans son film « Tarkovski » notamment… , puis la puissance
relationnel qui opère avec les éléments, c’est à partir de cela que j’ai écrit
la trame de ma traversée chronologique de l’eau, le sable, le feu et
l’air.
L’absolu est une performance qui fait référence aux
peurs existentielles humaines et aux mythes qui les entourent (Icare, Œdipe,
Narcisse, etc.). Pourriez-vous dire que votre œuvre s’appuie sur des sources
antiques pour parler du présent ?
Oui dans l’inconscient collectif bien sûre, mais
mon envie était surtout d’inventer un nouveau mythe plus que de faire référence
aux anciens. C’est après par exemple qu’on m’a fait retour que l’enclume du
spectacle faisait référence à Damoclès. Je ne connaissais pourtant pas ce
mythe, c’est pour dire, que nos influences nous dépassent.
D’où est venue l’idée de votre dernière création Anatomie du désir ?
J’avais très envie de travailler sur la question
des forces invisibles, de comment le macrocosme agit sur le microcosme, ou plus
simplement comment l’univers agit sur notre ventre, notre second cerveau, celui
des émotions, notre inconscient aussi. Comment la l’une agit sur les marées et les
menstruations. Comment ces influences cosmiques agissent, sur nos
humeurs, sur notre appréhension du réel, sur notre désir et donc notre devenir.
L’œuvre se déroule dans un théâtre anatomique où le
corps d’une femme est disséqué.
Comme souvent, Je suis partie de la scénographie
pour y pondre mon œuf. Les théâtres anatomiques rejoignent les mêmes
enjeux que le Silo : un espace de représentation circulaire vue du dessus,
qui permet de convier la scénographie de proximité conviviale du cirque et
boite à magie du théâtre, qui permet la disparition de la technique pour une
expérience totale ou les sens et les médiums se confondent.
S’agit-il d’une critique/réflexion sur
l’objectification des femmes ? Et pourquoi avez-vous souhaité créer cette
œuvre maintenant ?
Pour reprendre l’histoire des théâtres de dissection
anatomique, Napoléon est revenu d’Italie en 1780 avec des Vénus anatomiques de
cire pour remplacer les corps mortifères qui se décomposaient sur les tables de
dissections, par des figures féminines validées par le clergé qui redonne le
désir d’apprendre aux étudiants en médecine. On ne pouvait pas, passer à côté
de ça sans en traiter l’imposture et remettre en question l’histoire du regard
à travers les siècles. Donc, oui un sujet parfait et passionnant à aborder
en pleine période me too, pour faire bouger le spectateur de l’intérieur.
Sur le plateau Oui, c’est donc une métamorphose qui
passe pour le dire de manière simplifiée du mythe de Vénus à la planète Vénus,
ou qui passe de l’objet au sujet, du sujet au cosmos, au grand tout.
En même temps, il s’agit aussi d’un corps fluide
(de genre). Est-ce aussi une quête que vous souhaitiez exposer ?
C’est un corps sans limite, sans dedans ni dehors,
le genre ne tient plus et très vite se déconstruit pour se métamorphoser en
quelque chose de plus grand, l’espace, l’espace qui interagit entre nous, le
vide remplit de vibrations invisibles que nous partageons. Du vivant !
La performance commence par une expérience
culinaire. Comment la reliez-vous au contenu qui suit ?
C’est un voyage des perceptions à travers les sens.
Le spectacle commence dans le noir avec une expérience culinaire, puis c’est
dans notre bouche, que nait le cosmos.
La dramaturgie opère sur des transversalités entre
les différentes thématiques qui ont traversé le siècle des lumières. Cette
période à ouvert nos yeux sur le cosmos en même temps qu’à l’intérieur des
corps. Les 1ères recherches électriques aussi sont apparues dans les même
années 1780-1830, elles étaient à l’origine médicales, y observait les forces
invisibles de l’électricité statique pour soigner, la foudre qui redonnait vie
au corps quelques instant avant de découvrir la lumière et l’électricité.
Quelles ont été vos principales sources
d’inspiration (arts visuels (Rembrandt, autres ?)
Ce n’est pas temps les illustrations de cette
époque mais les chercheurs qui m’ont fascinés, ceux qui faisait des
découvertes, c’est à c’est endroit de la création que j’aspire : découvrir
des choses qui ne serait pas encore découverte et qui changerait
considérablement notre vision du monde…
Mes préférés
sont L’abbé Nollet (1700-1770) qui a beaucoup questionné le désir à travers
l’électricité des corps.
Je me suis aussi intéressé aux recherches de
Duchenne de Boulogne (1800-1875), médecin qui a utilisé la
stimulation électrique pour étudier les muscles du visage et qui a inspiré ma
chorégraphie sous éléctrodes qui sont pilotées en midi sur une partition de Wagner.
Je vous promets, c’est bien réel, ce n’est pas moi mais l’élécricité qui me
fait danser.
Mes grandes références et
insipration littéraires sur ce spectacle sont :
• Babouillec, avec “Algorithme Eponyme”
• Ebenstein (Joanna), The Anatomical
Venus, éd. Thames & Hudson
• De Mulder Caroline, “Libido sciendi,
le savant, le désir, la femme”
• Didi-Huberman (Georges), “Ouvrir
Vénus,” et “L’image ouverte »
• Lacan (Jacques), Le désir et son
interprétation
• Brenni Paolo, Les courants à hautes –
fréquence apprivoisés à travers la darsonvalisation et les spectacles publics
(1890-1930), Annales historiques de l’électricité, Le corps humain et
l’électricité, éd. Victoires
• Lucrèce, De la nature des choses (De rerum natura)
• Ainsi divers documents d’archives
historiques sur les musées anatomiques de foire fournis par la BNF, le Musée
des arts forains de Paris, les Facultés de médecine de Paris et Montpellier.
Quelle phrase/citation du texte de la performance
reflète vraiment ce que vous souhaitez dire au public ?
« Desiderare », du latin « être
face à l’absence de l’astre perdu » permettait de se relier à son
destin, de se projeter dans le futur du cosmos. ..La
nostalgie de l’étoile « Sidus« .
L’avenir ?
Ayant travaillé dans le cirque pendant des années
tout en étant en marge, j’oserais dire, qu’en pensez-vous ?
La marge est l’espace précaire et fragile nécessaire
à toute création. Mais c’est aussi le riche compost qui permet à la terre de
rester fertile. C’est un espace qui semble malheureusement se réduire, voir
disparaitre.
Des fois je me demande, est-ce juste la limite de
notre perception qui se déplace et nous empêche de la voir ? où est la
peur de sortir de la zone du connu, de sa zone de confort, qui nous empêche d’y
aller pour s’y ressourcer ?
Quelles pensées, quels rêves et quels désirs
mûrissent désormais pour un développement ultérieur, et sous quelle
forme/scénographie unique ?
Ces précédentes créations m’ont interrogé sur la
réelle pertinence de continuer à entretenir des mythes, et motivé à les
déconstruire de leur écriture patriarcale. Trouvant que la plus belle
révolution de notre siècle repose actuellement sur les combats féministes, j’ai
eu envie de créer en collaboration « Les inachevées » que nous
préparons pour le printemps prochain.
La Lecture « de la nature des choses » (-100 av JC) de Lucrèce, poète philosophe atomiste, m’a
inspirée la création d’une sculpture – agrès de cirque, sorte de cercle de
topologie qui s’extrait du sol en s’enroulant sur lui-même et promet une
exploration acrobatique inédite en collaboration avec les apprentis de l’Académie
Fratellini ; et une création pour le printemps 2027 en espace public…