Les spectateurs sont installés dans le noir le temps d’une expérience culinaire à l’aveugle à l’intérieur d’une étrange architecture aux allures d’un grand Panopticum Anatomique.
Une expérience particulière qui sensibilise tous nos sens au spectacle qui va commencer.
Ce prélude joue sur nos troubles perceptifs, l’apparition progressive de la lumière à son intensité la plus infime laisse place à un ballet d’étincelles et de particules luminescentes en apesanteur : L’illusion du cosmos, la sensation pour le spectateur d’être « dans l’image » avec comme seul repère visuel les points lumineux qui circulent autour d’eux, reconstituant un micro Big-Bang.
Nous nous jouons ensuite du mythe de Vénus. Une écume phosphorescente éclaire les contours floutés d’un corps de femme nue. Un corps céleste en lévitation, offert au regard d’un public rassasié.
Une Vénus en suspension, un corps désincarné comme une « coïncidence de la vie et la mort ; de l’être et du néant ». Image de la beauté, chair désirée, immaculée, magnifiée, Vénus représente l’approbation de la vie jusque dans la mort.
De l’érotisme à la « Petite mort » dirait Georges Bataille, l’instant où le désir de transgression fait apparaître la limite et au même moment la nostalgie de l’enfance perdue. L’âme ventriloque de Vénus enfermée dans son propre corps se fait entendre par bribes, un chant discontinu s’échappe d’elle-même… Vénus, déesse de l’amour, la femme la plus regardée à travers les siècles ouvre enfin les yeux : désormais, seuls ses yeux nous parlent, rien d’autre ne bouge. Vénus offre son regard à qui veut l’accueillir, un regard bienveillant, le regard d’une vieille âme à l’apparence éternellement jeune. Étrange objet du désir qui transgresse les saveurs du goût, de l’appétissant au charnel et du charnel à l’étrange, les registres glissent du corps céleste au corps anatomique. La conscience de Vénus disparaît un temps, laissant place à un corps de cire. Un corps aimanté, dont l’épiderme frémit, dressant le duvet de poils quasi invisible qui la protège. Des instruments chirurgicaux glissent comme par magie autour d’elle, se déplacent sur son corps dans une caresse métallique. Un corps électrique, une gymnastique du visage s’empare de Vénus, des micro-mimiques, expressionnistes, dissociées et fulgurantes, racontent avec humour une Vénus consciente de sa condition. Vénus trace les contours de son buste et l’enlève. Toutes les pièces organiques du puzzle s’échappent de son corps : le foie, la rate, le cœur, l’estomac, les intestins s’envolent…
On ne sait plus si on assiste à la remémoration d’un mythe, à une veillée funèbre, à un rituel religieux, une séance de dissection, un freak show de prothèses ou à un festin cannibale. L‘audience attablée devient un théâtre anatomique surréaliste où les organes manipulés font leur striptease.